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Aux environs de Sexsmith en Alberta, sur la route de Dawson Creek, il y a cette patte d’ours dans le ciel. Une patte en nuage, aux doigts fuselés.

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Qu’es-tu venu faire ici, tout seul dans ton casque de moto, sur des milliers de kilomètres ventés,

de kilomètres vibrés 

de kilomètres grondés

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à la recherche de l’homme-ours

ou l’ours-homme

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le grand frère sauvage

l’autre des forêts

notre orang-outan?

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Presque pas dormi la nuit d’avant, sur ma banquette au terminal de Winnipeg, en suspens entre Montréal et l’Alberta.

 

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Sonny m’accueille à l’aéroport d’Edmonton, et pendant le trajet vers la ville, il me raconte des histoires du Grand Nord. La fois où ils ont manqué d’essence et ont été secourus par une femme belle. La fois où ils ont mangé de la viande de béluga. La fois où une habitante qui l’avait aidé, refusant son argent, lui a dit : « Pay it forward », donne au suivant. Et ça lui est resté, il me dit, Sonny, cette pensée de sagesse simple.

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Dans son garage, il me montre tout. La moto, et comment on attache les bagages. Puis je pars, à califourchon sur ma Suzuki, cowboy solitaire sortant de l’écurie.

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Sur un boulevard, je perds un jerrican mal amarré. J’entends klaxonner, et quand je fais demi-tour, un gars est là qui me le tend par la fenêtre de son pick-up. Je lui fais un salut thaï, spontanément, mains jointes pour dire merci, et le gars au volant, dans son accent noir et chaud, me répond : 

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– Alright bro!

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Tu as vécu dans ce pays, la Thaïlande, où, toi qui étais loup (Maïkan), on t’a renommé ours (หมี, Mii). Et dans cette culture comme en d’autres, on ne nomme pas ce qui est déjà : c’est le nom qui lance un devenir. 

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Voilà ce qui te tire vers le Nord-Ouest, sans doute, ce qui galope ta quête :

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ce devenir ours

et la sauvagerie

qui manque au monde.

 

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