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Pistolet de chasse-ours à la ceinture, je grimpe sur ma monture. C’est une espèce si haute, la Suzuki DR650, il faut savoir monter en selle. On ne peut pas juste envoyer la jambe par-dessus le siège. Il faut d’abord placer le pied gauche dans l’étrier, puis se hisser le long du flanc, et enfourcher la bête.

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Chargé comme un mulet

mais rapide comme le vent

tu repars

sur ton cheval pétaradant.

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Je veux redescendre un peu vers le sud pour mieux remonter la côte alaskienne. Je roule sur la route chanceuse, la numéro 7, le long du lac Atlin déposé au pied des montagnes, les Rocheuses brumées de bleu et de neige. Je m’arrête quelque part au hasard, et je tire de la sacoche une canette de bière tiède, trop longtemps transportée. Descendu sur les rives du lac, je la dépose dans les eaux froides, et dix minutes après je l’ouvre, pssshhhttt, et la mousse est l’écume même, la broue du lac qui baigne mes lèvres et ma gorge rafraîchie.

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La ville d’Atlin comme un décor de western, avec ses façades historiques, son vieux théâtre, son ancien liquor store, son saloon au rez-de-chaussée de l’hôtel.

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Je passe la soirée à boire des Ice Fog au saloon avec un groupe de mineurs. Ils travaillent dans une mine d’or, et leur patron est là, habillé en patron, chemise noire et montre et chaîne, qui paye des bières à ses employés barbus, avec l’argent de l’or.

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Demain débutera le festival de musique d’Atlin, et défilent déjà sur la route des caravanes d’estivants. Une dame rencontrée dans le village a un mot pour ça : « togetherness ». Elle a laissé des jeunes monter leur tente dans sa cour arrière : 

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– My backyard is a jungle. There’s a lot of togetherness going on!

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Elle est vieille et, l’œil vitreux et obstiné, elle tient dans sa main un bâton de ski. Pas pour prendre appui dans la marche, non, plutôt pour se défendre contre les ours, et surtout contre les orignaux :

 

Yesterday, I was walking

and all of sudden

there was a moose!

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right in front of me!

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At least, next time

if I see a moose or a bear

I can stab it

with my ski stick.

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À cause du festival, il n’y a plus de place au Pine Creek Campground, mais je trouve quand même un recoin où les émondeurs ont amoncelé des branches de pin. Je me dégage un petit nid où je plante ma tente, là au milieu des branches,

 

et toute la nuit

ça sent bon le pin

dans mon sommeil.

 

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Le lendemain, je déjeune au restaurant du village. Assis à la même table, un Australien au visage élimé. Il parle comme par grognements, et je ne comprends pas grand-chose à ce qu’il marmonne. Juste des bribes attrapées, des histoires d’or caché sous deux pieds de glaise, des récits échevelés de miracles aurifères… Il me dit qu’il transporte avec lui une batée. Je ne sais pas ce qu’il fout là, dans les territoires du Nord. Je crois comprendre qu’il cherche encore l’or, l’or du Klondike, l’or du Yukon, en solitaire, en vagabond, seul dans son pick-up qui lui sert de lit, plus d’un siècle après la grande ruée. Dans la batée de mon oreille, j’arrive à tamiser quelques mots, des pépites qui parlent d’investissement, d’extraction, de bulldozers, de tout le fuel qu’il faut brûler, pour extraire le métal jaune.

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– Have a good trip, mate!

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Il pleuvasse et la météo n’augure rien de bon au sud, alors je décide de remonter sur Whitehorse, de reprendre le fil de l’Alaska Highway. Cap sur Dawson City.

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